Jean-Jacques Le Joncour
Sculptures, peintures et installations artistiques
Le livre - Oh ! Navizence - Vision du bar

VISION DU BAR

ou la solitude épisodique d'Arno de Winkelried



On l'avait surnommé Arno de Winkelried à cause de son côté âme errante, guerrier exilé en Navizence occupée. Il faisait partie de l'expédition Nina, mais son créateur, Jean-Jacques, l'avait appelé "ciel étoilé" certainement pour lui permettre de dialoguer avec les plus irascibles des dieux de la guerre.

Chaque fois que les entrailles de la Nina s'ouvraient afin d'assouvir la curiosité légitime des gens de passage ou des habitués toujours plus nombreux, nous ne manquions jamais de saluer en silence cette présence prostrée dans la pénombre, avant d'atteindre le bar et l'interrupteur principal qui allait redonner vie à ces lieux encore enfumés par le tabac des buveurs invétérés de la veille.

Il faut dire que l'on s'incrustait facilement dans cet endroit apocalyptique autour d'un bar qui était devenu, au fil du temps, un centre nerveux surgi du Bronx.

Arno de Winkelried interpellait tous ceux qui entraient dans le rêve au travers du mur de briques rouges, fissure dans le temple des années 90. De l'autre côté du bar, derrière le tracteur de verni vert et les tonneaux grimaçants, on pouvait le voir se déplacer sur la gouttière comme un chat entre deux visiteurs, deux conversations ou deux bières.

Il aimait surprendre l'étonnement des nouveaux visages accueillis par le bruissement d'une forêt vierge vivante suspendue au-dessus de leurs têtes; l'émerveillement des enfants surtout, plus vite en action que les adultes sceptiques, qui retenaient avec peine l'envie pressante de toucher l'intérieur de ce jouet propriété d'une espèce d'ogre qui ne leur faisait déjà plus peur.

Avez-vous déjà regrdé vos pieds à la sortie de l'exposition ? Avez-vous remarqué qu'ils emportaient avec eux un maximum de poussière de bateau pour que dure l'éphémère ?

Arno refaisait chaque nuit le plein de cette substance d'étoile terrestre. Il enregistrait machinalement les conversations qui s'inscrivaient derrière le bar sur l'ardoise du temps :

"Tu sais où j'ai connu Oh Navizence ?
Au Japon ! Dans l'avion qui me ramenait en Europe !"
"Je m'en fou demain j'me casse au Brésil !"

... et le lendemain Yvan revenait prendre l'apéro comme d'habitude.
(c'est vrai qu'on s'y était habitué !)
"Je crois en Dieu mais je ne pourrais jamais me passer de fumer !"
"Tu crois qu'ils oseront démonter tout ça ?"
"J'ai 20 ans aujourd'hui, putain ! Santé !"
"Je m'appelle David !" "Moi, c'est Marie...!"
"L'office fédéral du travail m'a confirmé qu'il était de la plus haute importance qu'un chômeur, de toute situation sociale qu'il soit..."
"Et, MERDE!!!"
"tu crois qu'elle viendra ?"


Puis, en très peu de temps, tout s'est arrêté... !

Arno vit maintenant à Genève, dans un jardin anglais, avec un buisson de genièvre pour compagnon. Il ne surveille plus les mots et laisse la poussière recouvrir son manteau.

Quand nous avons repassé devant "la Trouvaille" au début janvier 1994 avec nos filles Lolita et Emmanuelle, elles ont pleuré !
Et ce n'était pas du cinéma !
Merci quand même d'avoir existé.

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pierre de la Navizence